Tu étais là bien avant moi, assis,
Enraciné, le regard posé sur la plaine…
Tant de rêves et de moments partagés,
Tant de paix et d'espoirs, tant de liens à la Vie…
Tant et plus, tu as donné;
Tu as offert aux hommes
Ce plaisir sans cesse renouvelé,
D'être côte à côte dans la vie et l'espace.
Fidèle, toujours présent, inaltérable et rebelle;
Ta présence inébranlable, minérale…
Mon ami, mon compagnon, mon maître terrestre;
Et moi, simple disciple et passager inconditionnel
Sur ce chemin de vie profonde…

Tu es là, assis, le regard posé sur le monde…
La tête dans les nuages et les pieds dans l'eau,
Tourné vers le soleil couchant,
Comme une vigie vers la terre.
Te voilà, complice d'une vie, pourvoyeur de bonheur,
Instrument de mesure de l'humain.
Toujours changeant et jamais différent,
Tu fais partie du paysage comme je participe de l'éphémère.
Tu es mon Coin de paradis;
Et dans ta Face, parcourue d'Arc-en-ciel et de Magie noire
La Petite Fumée s'élève comme un fil d'Ariane avec la Vie au grand air.
Que de passion et de sourire dans cette Face, au gré des âges enfuis!
Poser mes doigts sur tes rides me ramène toujours au commencement des temps,
À ma propre finitude, à la sensualité du vivant.
A ceux qui m'ont précédé dans ton lit.
Quelquefois, je ne sais plus très bien qui, de toi ou de moi, observe l'autre:
Fascination devant une permanence essentielle,
A jamais hors de portée;
Emerveillement devant ce qui est, là, dressé, sans projet et sans but.
La simplicité ne se découvre-t-elle enfin
Que dans la contemplation de Nature?

Comme un être omniprésent, comme un témoignage du temps; au-delà des saisons,
Véritable étrave de pierre fendant l'espace,
Figure de proue dressée au vent, sourd aux jours de pluie et de neige,
Tu embrasses l'horizon d'un regard minéral et illumine nos cœurs tel un phare amical.
Tu es là, comme une promesse de stabilité, un ancrage au cœur.

Il est une beauté esthétique de savoir qu'après moi,
Tu seras encore là, auguste sphinx du genevois.

Tu seras là, oui! Sentinelle de pierre,
Assis, le regard perdu sur l'univers…
Mon ami, mon cher Salève.