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C'était quelque part au seuil du printemps,
au beau milieu des bois, hors du temps
J'avais suivi mes pas vers une clairière
où l'ombre le disputait à la lumière...
Quelques lambeaux de brume dérivaient encore mais c'était déjà un monde brodé d'ombre et de lumière. Au centre de l'espace dégagé trônait un arbre magnifique : un hêtre au torse argenté, et sa chevelure d'un vert éclatant semblait portée par ses bras noueux.
J'étais là devant lui, les mains ouvertes au bout de mes bras étonnés et je sentais soudain la terre retenir son souffle. L'arbre semblait sur le point de me révéler les secrets d'une planète encore endormie et entre lui et moi se tissaient les invisibles fils d'une harmonie primordiale ; le temps semblait s'anéantir de tant de beauté, comme suspendu aux portes du néant. Je restais là, incapable de me détacher de cette révélation...
Alors quelque chose en moi s'éveilla lentement : la certitude d'un regard posé sur moi, le sentiment d'une autre présence aux limites de mes perceptions...
Et soudain Elle fut là, devant moi, à quelques pas, comme surgie de la terre, et sa présence était comme un sourire poussant les portes de mon âme ; c'était un être de rêve irradiant ma mémoire d'une aura vertigineuse. Je crois aujourd'hui qu'Elle est de l'espèce des lutins ou bien de celle des Elfes, un de ces êtres de légende au
regard espiègle et pur. Dans l'instant, un frisson m'envahit comme la légende entrait dans ma vie, j'eus le sentiment que mourir ici et maintenant eut été pour moi une bénédiction si je ne devais conserver que cette image ultime.
Elle était là, rayonnante et un peu étonnée, surprise de me trouver dans son monde à Elle ; nous étions face à face comme d'uniques témoins de la rencontre de mondes jusqu'ici sans lisière commune.
Voyant la vie reliée en moi à la terre et l'innocence dans mes yeux, Elle sentit qu'elle n'avait rien craindre de moi et s'approcha doucement ; puis, son regard toujours enraciné au mien, elle me prit les mains avec une infinie délicatesse, pour y déposer quelques fruits étranges. Ils étaient d'une couleur et d'une texture inconnues et leur chair semblait à la fois tendre et pleine. Je portai l'un d'eux à mes lèvres et fermai les yeux pour mieux y goûter : tous les fruits du monde éclataient en moi en un bouquet sublime.
Bouleversé, j'ouvris les yeux...
Elle avait disparu ! Seule dans les frondaisons persistait encore une musique qui semblait murmurer : "Je m'appelle Élodie, je suis libre comme le vent !".
Encore sous le choc, comme au sortir d'un rêve, lentement, j'ai posé les yeux sur mes mains :
Elles étaient vides !

Dédié à E.